Résumé de l’éditeur

Un court roman en vers libres, d’une grande modernité, qui transforme notre regard et nos a priori sur la déchéance féminine.

Au bord d’un chemin, une femme gît, en décomposition.
Passant par là au bras de son aimée, un poète se délecte de cette vue infâme.

Clémentine Beauvais revisite avec audace le célèbre poème “Une charogne” de Charles Baudelaire.
Elle imagine le destin de cette femme que l’histoire a bafouée, la faisant prostituée, chirurgienne, avorteuse, puis tueuse en série.

Un court roman à la forme inventive, impertinent et engagé.

L’Iconoclaste

Fiche technique

Titre Décomposée

Autrice : Clémentine Beauvais

Édition – Collection : L’Iconoclaste – L’Iconopop

Genre : Poésie

Nombre de pages : 128

Date de parution : 08.04.2021

Âge : À partir de 15 ans

Prix : 13.00€

Mon avis

En ce qui me concerne, les termes “meilleurs souvenirs de lycée” et “poèmes de Baudelaire” ne pourraient pas être plus éloignés l’un de l’autre. Je n’aime pas Baudelaire. Je ne l’ai jamais aimé. Et pourtant, quel temps j’ai pu passer à faire des fiches sur un nombre incalculable de ses poèmes pour préparer mon bac de français ! Alors, on pourrait croire que quand je le recroise à l’occasion au milieu d’un cours à la fac, je lui adresserai un clin d’œil qui signifierai “on a de sacrés souvenirs ensemble”. Mais non, il m’irrite toujours autant. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai toujours l’impression d’entendre un ton condescendant derrière chacun de ses mots.

En revanche, si je n’adhère pas à la plume de ce célèbre homme en B, une femme (en B elle aussi) m’évoque tout le contraire de ce que je viens d’exprimer. Et ce depuis que je l’ai découverte en février dernier avec l’excellent Brexit Romance. Je veux bien sûr parler de Clémentine Beauvais.

Depuis la sortie de ce petit OVNI qu’est Décomposée, j’ai non seulement l’impression de le voir absolument partout, mais aussi que tout le monde l’encense ! Rien de très étonnant avec le nom qui signe cette œuvre. Mais tout de même ! Cette unanimité m’a rendue d’autant plus curieuse.

Alors j’ai moi aussi voulu tenter l’expérience pour voir comment l’autrice parvenait à revisiter la célèbre “Charogne” de Baudelaire. (“Charogne” pour laquelle je me souviens très bien avoir rédigé une fiche à l’époque.)

Le point de départ

Mais si ce poème ne te dit rien, je te le mets juste ici, histoire de voir de quoi nous partions :

Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,

Ce beau matin d’été si doux :

Au détour d’un sentier une charogne infâme

Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,

Brûlante et suant les poisons,

Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique

Son ventre plein d’exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,

Comme afin de la cuire à point,

Et de rendre au centuple à la grande Nature

Tout ce qu’ensemble elle avait joint ;

Et le ciel regardait la carcasse superbe

Comme une fleur s’épanouir.

La puanteur était si forte, que sur l’herbe

Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,

D’où sortaient de noirs bataillons

De larves, qui coulaient comme un épais liquide

Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague,

Ou s’élançait en pétillant ;

On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,

Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,

Comme l’eau courante et le vent,

Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rythmique

Agite et tourne dans son van.

Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve,

Une ébauche lente à venir,

Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève

Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète

Nous regardait d’un œil fâché,

Épiant le moment de reprendre au squelette

Le morceau qu’elle avait lâché.

– Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,

À cette horrible infection,

Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,

Vous, mon ange et ma passion !

Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,

Après les derniers sacrements,

Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses,

Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine

Qui vous mangera de baisers,

Que j’ai gardé la forme et l’essence divine

De mes amours décomposés !

Charles Baudelaire, “Une charogne”, Les Fleurs du mal

Charmant, n’est-ce pas ? (Ironie, quand tu nous tiens…)

Mais alors maintenant, la question reste de savoir comment Clémentine Beauvais s’est débrouillée pour transformer ceci en un coup de cœur inattendu !

En général

Pour être franche, ça fait des jours (voir des semaines) que je repousse la publication de cet article. Ce n’est pas que je ne prends pas le temps de l’écrire, non, parce que crois-moi : j’essaie. J’essaie vraiment. Mais je n’arrive pas à trouver les mots qui correspondraient parfaitement à mon ressenti pour Décomposée. C’est pour te dire à quel point c’est difficile.

Mais ça te permettra peut-être de comprendre mon degré d’attachement à ce petit roman en vers. Parce que ne dit-on pas que les livres qui nous ont procuré le plus d’émotions sont les plus difficiles à présenter ?

Clémentine Beauvais est donc partie d’un principe assez simple : renverser les points de vue du poème original. Elle se penche donc sur le sujet central, cette charogne, qui n’a pourtant pas voix au chapitre entre les vers de Baudelaire. Et elle se pose une question simple et évidente : Qu’est-il arrivé à ce corps pour qu’il finisse ainsi ? Quelle est son histoire ?

C’est cette histoire que Clémentine Beauvais va nous raconter. Toute l’histoire. Toute la vie, de ses prémices à sa conclusion que l’on connaît si bien, de cette femme nommée Grâce. Ou plutôt, c’est Grâce elle-même qui va nous raconter son histoire.

Et c’était magnifique.

Parce que le récit de cette vie est surtout le cri de douleur d’une personne qui a toujours vécu en étant considérée de par son genre. Pas un humain. Mais une femme. Une femme qui a depuis toujours été contrainte de subir la violence des hommes. D’abord par fatalité. Et ensuite pour protéger. Protéger ses sœurs, mais aussi ses “amies qui étaient comme des sœurs”. Mais faire rempart ne suffit pas toujours, car on ne peut pas gagner seule contre tous.

Alors Grâce va vouloir agir. D’abord en allant soigner les femmes ayant subi des sévices physiques. Puis en tentant d’empêcher l’essence des hommes de se développer au sein des femmes qu’ils touchent. Elle va donc créer des anges. Devenir avorteuse, devenir résistante. Contre le système et la fatalité, Grâce va montrer qu’elle refuse de croire qu’il n’y a pas d’issue. Jusqu’à ce qu’elle choisisse une voie plus radicale encore, un chemin de non-retour.

Au fond, Décomposée est une histoire de corps. De corps qui ne veut pas être simplement considéré comme une enveloppe, mais comme une véritable entité.

Le truc, c’est que cette histoire aurait pu être assez plate, des récits comme on en entend de plus en plus et qui prônent tous le même message, souvent de la même façon. Mais pas ici. Parce qu’il ne faut pas oublier qui se cache derrière ces pages. Clémentine Beauvais, ma nouvelle idole. Je savais déjà qu’elle était une excellente romancière. Je sais désormais qu’elle est aussi une incroyable poétesse ! Ses mots sont fous de beauté et de pureté. C’est percutant d’émotions et de vérité, de violence et de résilience. L’autrice à cette façon tout à fait unique d’allier les mots et d’en faire un petit chef-d’œuvre.

Je sais que cette chronique n’est ni bien construite ni bien fournie, mais ça ne doit pas t’empêcher de te tourner vers Décomposée. Je ne doute pas une seconde que tu seras hypnotisé dès les premiers vers, et entraîné vers le destin de cette femme si représentative.

À lire absolument !

En bref

En bref, Décomposée de Clémentine Beauvais est un magnifique récit sur le féminisme, la sororité et la rébellion. À travers une plume dont le talent n’est plus à prouver, l’autrice dresse un manifeste d’une modernité et d’un universalisme sans fard.

Ma note

Les 5 citations

Huit heures

claironnent.

On se dénoue,

mais on préserve

dans les plis

de nos corps

la mémoire exacte

des étreintes.

Clémentine Beauvais, Décomposée

Viens à moi

débarrassée de

tes blessures.

Sauf une ?

celle de notre temps ;

CLÉMENTINE BEAUVAIS, DÉCOMPOSÉE

Je crois que c’est

quelqu’un qui a

beaucoup aimé

et a été aimé,

et que c’est

pour cela

qu’elle a autant

de mal à sortir

de ce monde

pourtant elle le méprise

ce monde pourtant

elle a appris à ne plus

lui faire confiance

CLÉMENTINE BEAUVAIS, DÉCOMPOSÉE

Nous tombons parfois,

comme les feuilles

à l’automne.

CLÉMENTINE BEAUVAIS, DÉCOMPOSÉE

Je sais que

je suis appelée.

Je crois que

c’est par la mort,

mais ce sera l’amour ;

qui sonne pareil,

ou presque.

CLÉMENTINE BEAUVAIS, DÉCOMPOSÉE

Le mot de la fin

Et toi, tu as déjà lu Décomposée de Clémentine Beauvais ? Qu’en as-tu pensé ?

À bientôt pour un nouvel article !

Amandine Stuart

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