Résumé de l’éditeur
Madame Rosa, une vieille juive qui a connu Auschwitz et qui, autrefois, se défendait (selon le terme utilisé par Momo pour signifier prostitution) rue Blondel à Paris, a ouvert « une pension sans famille pour les gosses qui sont nés de travers », autrement dit une pension clandestine où les dames qui se défendent laissent leurs rejetons pendant quelques mois pour les protéger (de l’Assistance publique ou des représailles des proxénètes). Momo, jeune musulman d’une dizaine d’années, raconte sa vie chez madame Rosa et son amour pour la seule « mère » qui lui reste, cette ancienne prostituée, devenue grosse et laide et qu’il aime de tout son cœur. Le jeune homme accompagnera la vieille femme jusqu’à la fin de sa vie.
Fiche technique
Titre : La Vie devant soi
Auteur : Romain Gary (Émile Ajar)
Édition – Collection : Gallimard – Folio (n° 1362)
Nombre de pages : 288
Date de parution : 17.09.1975
Âge : À partir de 13 ans
Prix : 8.00€
Récompense : Prix Goncourt 1975
Mon avis
C’est la rentrée ! En tout cas c’était cette semaine ma rentrée en deuxième année de Licence de Lettres Modernes, et, oui, ça s’est super bien passé, merci de demander 😄. J’ai adoré revoir tout le monde (même si j’ai parfois buté à reconnaître quelqu’un sous son masque), et reprendre une routine et un rythme presque comme avant. Mais là je digresse, ce n’est pas pour ça que tu es là.
C’est donc la rentrée, mais figure toi qu’elle n’est pas que scolaire, puisque qui dit septembre dit aussi… rentrée littéraire ! Eh oui. Ne me dit pas que tu es passé à côté des innombrables post Instagram qui nous vantaient les mérites des bouquins de la rentrée littéraire de chaque maison d’édition, parce que je ne te croirai pas.
C’est pour ça que la chronique de la semaine a paru s’imposer à moi. Pourquoi ? Parce que dans 6 jours exactement, l’oeuvre que je vais te présenter fêtera ses 45 ans, et aussi parce que je suis la première à te comprendre lorsque tu me dis que tu n’aimes pas les livres de cours, ceux que ta prof de français t’obligeait à lire pour une date bien précise. C’est aussi mon cas la très grande majorité du temps. Sauf que là, ce roman lu l’année dernière dans le cours « Littérature contemporaine » m’a chamboulée. Je t’expliquerai pourquoi dans quelques lignes.
Laisse-moi d’abord faire un éclaircissement sur l’auteur. Le fait que je l’ai notifié comme « Romain Gary (Émile Ajar) » t’a certainement interpellé, et tu aurais raison de l’être, parce que voici l’histoire vraie et complètement barrée de ce roman…
Romain Gary est notamment connu pour la mystification littéraire qui le conduisit, dans les années 1970, à signer plusieurs romans sous le nom d’emprunt d’Émile Ajar, en les faisant passer pour l’oeuvre d’un tiers. Il est ainsi le seul romancier à avoir reçu le prix Goncourt à deux reprises : la première en 1956 pour Les Racines du ciel et le second en 1975 pour La Vie devant soi, un roman écrit sous le pseudonyme d’Émile Ajar. Romain Gary se suicidera en 1980. Il mettra en scène sa fin de vie et laissera une lettre à son éditeur, en déclarant : « Je me suis enfin exprimé entièrement ». La mystification de ses diverses identités lui auront sûrement fait du tort. Quelques temps après sa mort, fin décembre, on saura que derrière le pseudonyme d’Émile Ajar se cachait en réalité Romain Gary.
C’est dingue, tu ne trouves pas ? Qu’un auteur puisse se faire passer pour quelqu’un d’autre grâce à son écriture, parce que ce que je ne t’ai pas dit, c’est que le style littéraire changeait radicalement en fonction du nom sous lequel il écrivait. Ce fut la plus grande arnaque littéraire, stylistique et éditoriale qui créa d’énormes remous au sein du monde de la culture.
Je ne vais pas m’appesantir plus longtemps sur la mystification Gary/Ajar parce qu’on est surtout là pour parler de La Vie devant soi, mais si tu as des questions surtout n’hésite pas à les poser en commentaires, je t’y répondrai avec grand plaisir.
Sans plus attendre, passons maintenant au cœur du sujet de cet article : le roman en lui-même.
En général
Je crois que ce qui m’a tout de suite accrochée dans ce roman est justement le style d’écriture qui s’adapte parfaitement à son narrateur : Momo, petit garçon de 11 ans qui vit depuis toujours à Belleville, chez Madame Rosa, nourrice d’enfants de prostituées qui ne peut pas toujours leurs donner une éducation comme on l’entend toi et moi. Momo, de tout le récit, ne va pas à l’école. On se retrouve donc face à un style narratif très brute de décoffrage avec beaucoup de vulgarités, de mots mal employés parce que mal compris par l’enfant, de phrases décousues, … C’est un peu particulier, c’est vrai, mais je m’y suis habituée très vite.
Mais ce n’est pas juste le style original et décadent d’un enfant naïf et simplet. Au contraire, Momo est d’une grande maturité et clairvoyance pour son âge. Ainsi, il est parfaitement capable de nous faire la morale et de disserter de façon très sérieuse (bien que ce soit toujours de manière enfantine).
Et justement, l’autre point fort de ce récit est sans aucun doute les thèmes et les figures qu’il présente. Gary s’attaque aux problèmes de son époque en peignant « les nouveaux misérables » (référence au roman de Victor Hugo qui a une grande importance), ces habitants de Belleville des années 70 qui étaient mis de côté. Il y est ainsi abordé l’humiliation des femmes (avec Madame Rosa qui est une référence à Fantine ou Momo à Gavroche), la prostitution, le chantage à l’enfant, les conditions de vie des travailleurs, l’identité, … Madame Rosa est aussi représentative de la Shoah et de toutes les horreurs qu’elle a vécue durant cette période. Pour te donner un exemple : elle cache sous son lit un portrait d’Hitler qui lui sert à trouver de l’énergie quand son moral n’est pas bon pour se réconforter, en se rappelant qu’elle lui a résisté.
Je te dirais aussi que Gary est vraiment en avance sur son temps puisque qu’il écrit et donne ouvertement son avis sur des sujet qui, à l’époque, ne courraient pas les étagères : la fin de vie et l’euthanasie, la diversité des cultures des personnages, mais aussi la transsexualité avec le personnage de Madame Lola (boxeur Sénégalais qui se travestit et se prostitue) que j’ai vraiment adoré.
Cette œuvre pourrait être pesante avec tous les sujets que je viens de te lister, mais il ne faut pas oublier que le regard est celui de Momo, qui a la capacité de raconter des moments dramatiques de manière extrêmement légère. De sorte que je me suis souvent retrouvée dans une situation où je ne savais plus si je devais rire de ses expressions et de son humour noir, ou pleurer devant la scène triste à mourir qu’il nous décrivait en réalité. Autant te dire que j’ai choisi un entre-deux : j’ai passé tout le bouquin avec un demi-sourire accrochées aux lèvres (tout en m’autorisant quelques éclats de rires et embuements du côté des yeux).
Mais La Vie devant soi n’est pas seulement un défilé de sujets graves, c’est aussi une histoire humaine de tolérance et d’amour absolument édifiante : Momo aime Madame Rosa comme une mère et fait tout son possible pour prendre soin d’elle contre vents et marées. La solidarité est traitée comme un thème essentiel du roman qui est présent tout au long de l’oeuvre, comme lorsque l’état de santé de Madame Rosa va véritablement commencer à se dégrader et où tous les habitants de l’immeuble vont venir l’aider, elle et Momo, dans leur appartement, chacun à leur manière.
En bref
En bref, La Vie devant soi a beau avoir été une lecture de cours, j’ai pris beaucoup de plaisir à la découvrir, elle et ses thématiques dures, graves et fortes vues par les yeux d’un petit garçon qui a une façon de s’exprimer bien à lui. Pour te dire : j’allais lire et je tardais avant de me coucher pour connaître la suite, pas parce que je devais avoir fini le roman pour la semaine suivante, mais bien parce que j’avais plaisir à lire un livre de cours (et un Goncourt, en plus !). Et ce fait était assez exceptionnel en lui-même pour en faire un article 😊😁 !
Ma note
Les 5 citations
Comme tu commences à en avoir l’habitude, avant de commencer un nouveau livre qui m’intéresse j’aime aller checker quelques citations pour voir si le style d’écriture me plait. Voici donc cinq citations (toujours garanties 100% sans spoilers, évidemment !). Libre à toi de les lire ou pas, suivant si tu aimes bien savoir dans quoi tu t’engages ou si tu veux garder le total plaisir de la surprise.
Pendant longtemps, je n’ai pas su que j’étais arabe parce que personne ne m’insultait.
Romain Gary (Émile Ajar), La Vie devant soi
Quand elle est arrivée au rez-de-chaussée, Madame Rosa n’est pas sortie dans la rue, elle a tourné à gauche, vers l’escalier de la cave où il n’y a pas de lumière et où c’est le noir même en été. Madame Rosa nous interdisait d’aller dans cet endroit parce que c’est toujours là qu’on étrangle les enfants. Quand Madame Rosa a pris cet escalier, j’ai cru vraiment que c’était la fin des haricots elle était devenue macaque et j’ai voulu courir réveiller le docteur Katz. Mais j’avais à présent tellement peur que je préférerais encore rester et ne pas bouger, j’étais sûr que si je bougeais, ça allait hurler et sauter sur moi de tous les côtés, avec des monstres qui allaient enfin sortir d’un seul coup au lieu de rester cachés, comme ils le faisaient depuis que j’étais né.
ROMAIN GARY (ÉMILE AJAR), LA VIE DEVANT SOI
Moi ce qui m’a toujours paru bizarre, c’est que les larmes ont été prévues au programme. Ça veut dire qu’on a été prévu pour pleurer. Il fallait y penser. Il y a pas un constructeur qui se respecte qui aurait fait ça.
ROMAIN GARY (ÉMILE AJAR), LA VIE DEVANT SOI
Je me suis couché par terre, j’ai fermé les yeux et j’ai fait des exercices pour mourir, mais le ciment était froid et j’avais peur d’attraper une maladie.
ROMAIN GARY (ÉMILE AJAR), LA VIE DEVANT SOI
Si Madame Rosa était une chienne, on l’aurait déjà épargnée mais on est toujours beaucoup plus gentil avec les chiens qu’avec les personnes humaines qu’il n’est pas permis de faire mourir sans souffrance.
ROMAIN GARY (ÉMILE AJAR), LA VIE DEVANT SOI
Et toi alors, comment s’est passée ta rentrée ? Tu aimes avoir des lectures imposées par tes profs ? As-tu déjà lu La Vie devant soi de Romain Gary ?
Amandine Stuart
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