Des rêves dans la marge

Des lectures variées et des avis sincères

Martin Winckler, Le Chœur des femmes

Résumé de l’éditeur

Je m’appelle Jean Atwood. Je suis interne des hôpitaux et major de ma promo. Je me destine à la chirurgie gynécologique. Je vise un poste de chef de clinique dans le meilleur service de France. Mais on m’oblige, au préalable, à passer six mois dans une minuscule unité de “Médecine de La Femme”, dirigée par un barbu mal dégrossi qui n’est même pas gynécologue, mais généraliste ! S’il s’imagine que je vais passer six mois à son service, il se trompe lourdement. Qu’est-ce qu’il croit ? Qu’il va m’enseigner mon métier ? J’ai reçu une formation hors pair, je sais tout ce que doit savoir un gynécologue chirurgien pour opérer, réparer et reconstruire le corps féminin. Alors, je ne peux pas – et je ne veux pas – perdre mon temps à écouter des bonnes femmes épancher leur cœur et raconter leur vie. Je ne vois vraiment pas ce qu’elles pourraient m’apprendre.

Folio

Fiche technique

Titre Le Chœur des femmes

Auteur : Martin Winckler

Édition – Collection : Gallimard – Folio

Nombre de pages : 688

Date de parution : 09.03.2017

Âge : À partir de 17 ans

Prix : 10.30€

Mon avis

J’étais en train de me dire que ça faisait longtemps que je ne t’avais pas présenté de lecture coup de cœur, et puis avec la fin de l’année qui approche, je me suis dit que c’était le moment idéal !

Tu as peut-être remarqué que ce n’est pas vraiment le genre de lecture vers lequel je me tourne naturellement, et c’est vrai. Et pour cause, la première fois que j’ai entendu parler de ce livre, c’était lors d’une séance du club lecture de la fac où une de mes profs parlait avec beaucoup d’enthousiasme du Chœur des femmes.

À l’époque (on devait être en mars) ça m’avait interpellé, mais j’ai regardé le résumé qui me paraissait très peu attirant, et avec le rush de la fin de semestre, ça m’était un peu sorti de la tête. Et puis fin août / début septembre, j’ai eu un flash et je me suis dit que c’était maintenant ou jamais.

Donc, oui, ça fait 4 mois que j’ai terminé cette lecture, mais si je ne t’en ai pas parlé avant, c’est que j’ai eu besoin de la digérer. Tu devrais comprendre pourquoi en poursuivant cet article…

En général

La première chose qui m’a dérouté est le fait que pendant longtemps on ne sache pas si le personnage principal est un homme ou une femme. C’est vrai, Jean peut se prononcer différemment : à la française “Jean Rochefort” est un prénom masculin, ou à l’anglaise “Jean comme le pantalon” est féminin. Au début ce n’est pas très gênant, mais au bout de 130 pages à ne pas pouvoir te représenter la personne que tu suis, ça devient perturbant… J’avais parfois l’impression de voir des indices, mais jamais rien de définitif.

Et ce côté perturbant a été accentué par le fait que Jean, notre personnage principal, est détestable. Tu vois, ce n’était pas comme avec certains personnages qui t’énervent parce que trop naïfs ou trop immatures, non c’était mille fois pire que ça ! Je détestais Jean de toute mon âme. Mais alors, pourquoi Le Chœur des femmes est un coup de cœur ? Parce qu’à force de dépenser toute mon énergie à engueuler Jean et à m’imaginer en train de la claquer, j’ai fini par porter une attention toute particulière aux autres personnages qui peuplent cette histoire : ceux dits “secondaires”. Et c’est là que je me suis rendu compte que c’était eux, ceux qui sont d’habitude relégués au dernier rang, que Martin Winckler mettait en lumière. Faire de Jean un personnage des plus antipathique était LE moyen génial de nous faire nous détourner d’elle pour focaliser notre attention tout autour. Et c’est là que tu vas explorer tous les petits recoins que cette histoire dévoile ou mentionne simplement, pour te rendre compte que, de chaque être qui l’habite, ou ne fait que la traverser en coup de vent, chacun est là pour une bonne raison. TOUS apportent sans exception leur pierre à l’édifice et servent à développer un point qui ne l’était pas jusque-là. En fait, il y a ici une sorte de retournement : Martin Winckler joue avec les codes en nous faisant adorer ses personnages “secondaires” (qui ne le sont pas) et en créant un personnage principal tête à claque.

Mais au fond, tous ces procédés servent surtout à traiter deux sujets primordiaux…

D’abord, et tu dois t’en douter parce que c’est quand même le titre du bouquin, les femmes. Elles sont partout, et ce sont elles qui insufflent toute la vie à ce livre qui les célèbrent. Et quand je dis qu’il les célèbre, ce n’est pas juste pour faire joli, c’est la vérité qui te sautera aux yeux si un jour tu décides de te lancer. Martin Winckler parle de toutes les femmes en étalant devant nos yeux un éventail d’une diversité et d’une justesse étonnante, autant sur le plan physique que psychologique et émotionnel. Toutes leurs histoires nous sont présentées sans jugement aucun et avec une bienveillance folle.

Ensuite (et c’est sûrement logique aussi) le milieu hospitalier. Tu l’as peut-être deviné, mais l’intrigue de ce roman se déroule en majeure partie à l’hôpital. Et, là encore où Martin Winckler pourrait s’en servir comme simple élément de décor, il choisit d’en faire un nouveau principe à défendre. Parce que, je ne sais pas si tu es au courant, mais l’univers hospitalier est très loin de ce qui est représenté dans n’importe quelle œuvre de fiction. Et même si aujourd’hui la réalité est plus dévoilée aux yeux de tous au vu de l’actualité dans laquelle nous vivons, c’était clairement moins le cas il y a 4-5 ans… Et c’était tellement plaisant (bien qu’horrifiant) de lire quelque chose sans concessions qui traite ce sujet avec tellement de justesse, sans compliquer ou abreuver les choses de manières “technocratiques”, mais bien pratique. Martin Winckler critique le système avec une sincérité qui m’a énormément touchée. Mais pas seulement le système budgétaire et tout ce qui s’ensuit, il va beaucoup plus loin en allant jusqu’à remettre en question la formation des médecins en France, les rapports patients/médecins, ou problèmes éthiques affligeants.

Ça peut sembler bizarre de parler de tout ça et de réussir à faire en sorte que ce livre ne devienne pas un essai quelconque, mais l’auteur réussit parfaitement à y allier la dose de romanesque nécessaire pour nous entraîner. Parce que tous les points dont je viens de te parler pourraient être considérés comme des inconvénients n’importe où ailleurs, mais pas ici. Pas une fois je ne me suis ennuyé ou ai pensé arrêter ma lecture, parce qu’il y avait ce petit truc-que-je-ne-sais-pas-expliquer qui me donnait envie de poursuivre.

En fait si, j’ai peut-être une petite idée… Le Chœur des femmes, en plus de tout ça, est aussi et surtout une histoire de vrai et une histoire de vies.

Il présente une incroyable portée pédagogique. Tu as une question sur ton corps, les règles, le sexe, la contraception, le fait d’être enceinte ou de ne pas l’être ? Je n’ai aucun doute que tu trouveras des réponses dans ce bouquin ! Parce que c’est vrai que l’on n’a pas toujours envie (par peur, par honte ou quoi que ce soit d’autre) d’aller demander à son médecin, son gynéco ou Google. Alors ce roman, parfaitement documenté et qui présente des faits tout à fait avérés, est la bonne solution. En fait, il faudrait le lire même si on n’a pas de questions, parce qu’on apprendra tout de même forcément des choses, moi-même j’en ai appris des tonnes ! Et tout cela est TOUJOURS fait de manière ultra-claire, sans jamais prendre la forme d’un cours magistral ou les lecteurs pour les imbéciles qu’ils ne sont pas.

Mais alors, comment réussir à rendre tout ça digeste ? En nous parlant des vies qu’il y a derrière ses symptômes. Ce livre est un lot de rencontres, qui marquent plus ou moins, mais qui parviennent toujours à rendre tout cela incroyablement humain. Oubliée l’impression d’être un bout de viande dans la vitrine d’une boucherie que l’on ressent trop souvent face à un médecin ! Parce qu’à la lecture de ce livre, j’ai pleuré plusieurs fois, ressenti de l’incompréhension, de l’injustice, de la colère, de la haine, mais aussi beaucoup de douceur, d’amour, et de bienveillance.

Ce livre m’a redonné foie en l’écoute et la bienveillance parce qu’au fond il ne prône qu’une seule chose : écoutons notre corps, parce que nous sommes les seuls à pouvoir vraiment savoir ce qu’il nous dit, n’en déplaise à certains. En fait, c’est peut-être l’une des choses qui m’a le plus touchée : cette capacité incroyable à nous faire sentir forte et sans honte de qui l’on est. J’ai même eu l’impression d’émerger de cette lecture en ayant appris beaucoup de choses sur moi.

Tout ça doit te paraître un peu fouillis : trop d’éléments qui n’ont pas l’air de coller ensemble et qui forment quelque chose d’un peu flou. C’est l’effet voulu : pendant une bonne partie de l’œuvre, on nous donne beaucoup d’infos dont on ne sait pas vraiment quoi faire, un peu comme si on avançait dans le noir le plus total. Et puis il se passe quelque chose, et tout à coup tout ce tableau, tout ce dont je te parle depuis le début de cet article, tout s’éclaire d’une façon incroyablement nette, alors que tu n’avais rien vu venir. Et là tout, absolument tout prend sens et tu te retrouves bouche bée devant ce coup de maître faramineux. Les choses auxquelles tu n’avais pas prêté grande attention se retrouvent mêlées à tout le reste et forment la clef de cette incroyable histoire.

En bref

En bref, Le Chœur des femmes de Martin Winckler est un énorme coup de cœur totalement inattendu. Cet ouvrage magistralement féministe, militant et engagé, écrit par un médecin pour rendre leurs corps aux femmes, est un écrit d’intérêt public à mettre d’urgence entre toutes les mains : hommes ou femmes, jeunes ou moins jeunes. Accessible à TOUS, pour TOUS.

Ma note

Les 5 citations

– Tu ne sauveras peut-être jamais personne. Mais tu peux soulager et soigner presque tout le monde. Choisis.

MARTIN WINCKLER, LE CHŒUR DES FEMMES

Tout le monde ment. Les patients mentent pour se protéger ; les médecins mentent pour garder le pouvoir.

MARTIN WINCKLER, LE CHŒUR DES FEMMES

La médecine française est, purement et simplement, une médecine de classe. Un trop grand nombre de “professionnels” méprisent souverainement tous les patients et les traitent comme des enfants – et plus encore les femmes, parce que ce sont des femmes.

MARTIN WINCKLER, LE CHŒUR DES FEMMES

– Les livres de médecine ne parlent jamais des douleurs provoquées par les gestes des médecins. Et beaucoup de médecins pensent que “si c’est pour le bien de la patiente”, la douleur est justifiée. Aucune douleur n’est justifiée. Jamais. Et la moindre des choses, pour un soignant, est de tout mettre en œuvre pour ne pas faire mal.

MARTIN WINCKLER, LE CHŒUR DES FEMMES

Bordel de merde, la prochaine fois que je tombe amoureuse, il faut que je choisisse un type plus con, pour avoir raison au moins une fois de temps en temps quand je pète les plombs.

MARTIN WINCKLER, LE CHŒUR DES FEMMES

Le mot de la fin

Ouf ! Tu sais quoi ? Je crois que je m’étais mis une pression à vouloir te faire passer avec le plus de justesse possible tout ce que m’a provoqué ce livre. Maintenant que c’est fait, j’espère avoir réussi ma mission et à faire en sorte que tu ailles te le procurer le plus rapidement possible.

Sérieux, je ne comprends pas pourquoi Martin Winckler n’a pas eu de prix pour ce bouquin ! Mais bref, tu l’as compris : c’est mon nouveau héros et je me mettrai bientôt à découvrir d’autres de ses écrits !

Des suggestions à me faire ?

Ou plus généralement, qu’as-tu pensé de cet article ? Tu as déjà lu Le Chœur des femmes de Martin Winckler ? Quel a été ton ressenti ?

Amandine Stuart

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2 Commentaires

  1. Martin Winckler 18 décembre 2020

    Eh bé ! Je suis très touché par votre lecture, Amandine. Merci beaucoup.

    • Amandine Stuart 19 décembre 2020 — Auteur d'un article

      Waouh, quel honneur de voir que vous êtes passé par ici !
      Merci à vous pour le travail formidable que vous produisez et pour avoir pris le temps de lire cet avis jusqu’au bout ? !

      A.

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